Gare au guru


Il y a une quinzaine d'année, alors enseignant, mes activités de Yoga prenant de l'importance, des collègues, après avoir appris ma double vie yoguique, étonnés mais affectueux, m'ont prodigué de nombreux conseils : " Chut, ne le dis pas!", "reste discret", "ils vont te juger", "il vaut mieux que tu gardes ton image actuelle "! Et, ils avaient raison, je me souviens d'un proviseur qui, lorsqu'il me croisait dans les couloirs, me criait ironiquement à tue-tête : "vive Vishnu ! vive Shiva" ! Peu après, mes élèves s’y sont également mis en chantant des "AUM, AUM". Quelles raisons ont pu pousser certains à me protéger et d'autres à me juger ? Quelle image le Yoga véhicule-t-il, parfois encore, pour amener à ce type de réactions étranges ? 

Nous avons tous  bien sûr en tête ces images de fakir assis sur une planche à clou devant des adeptes, assis par terre, écoutant benoitement ses paroles. Nous n'avons pas besoin de chercher loin dans notre imaginaire pour voir Kiçàh, conducteur de tapis volant, dormant sur des clous et, ne craignant pas les flèches des romains, emmener Astérix, Obélix et Assurancetourix dans la vallée de l'Indus afin que nos fameux Gaulois y amènent la pluie. Moins drôle, mais toujours relativement récent, les gurus de l'ordre du temple solaire connus pour avoir emmené avec eux dans un périple suicidaire des dizaines de disciples. 

Le Yoga est-il une secte ? Qu'est-ce qu'un guru ? Dans l'étymologie du Yoga, un guru est quelqu'un qui aide à enlever l'obscurité. C'est un ami spirituel, quelqu'un qui veut du bien et qui prescrit les bons exercices à la personne afin de la faire évoluer positivement, qui fait réfléchir pour trouver les bonnes réponses. En Inde, un autre mot, âcârya, est en compétition avec le mot guru. C'est le mot âcârya, littéralement, celui qui a cheminé. Il montre la direction car il a est passé par là.

Il y a neuf ans, à la naissance de mon fils, j’ai compris, en cheminant mon petit bonhomme de chemin, à quel point ma vie avait été conditionnée par ce que ma famille et ce que mes ancêtres avaient réalisés sur terre et je me suis senti totalement dépossédé de moi-même. J’avais l’impression d’avoir vécu la vie d’un autre, que mon château-fort intérieur avait cassé. Je ne savais plus qui j’étais et je réalisais que je ne l’avais jamais su. Qu’est-ce qui pouvait encore être à moi dans ma vie ? Que pouvais-je changer ? J’étais perdu. Et surtout, qui pouvait me comprendre ? 

La HYP, un texte classique de Yoga, aborde ces choses. Lorsque l’on pratique sérieusement, à un moment donné, on s’effondre. L’identité basée sur l’égo, la peur, la vanité, les associations se met à trembler et on se retrouve intérieurement dépouillé. Pour avancer, il faut cheminer avec quelqu’un en qui on a confiance et qui connaît ce trou noir car il est passé par là. Doucement, avec le temps, une personnalité basée sur le cœur, sur notre nature, nos potentiels, nos qualités prend le jour, grâce à une pratique adaptée et un chemin soutenu par un ami compétent.

Mon enseignant n’est pas un fakir, il ne s’assied pas sur des clous, mange plus d’une graine de lentille par moi et aime profondément la vie. Mais étant lui-même passé par ces errements, il savait mieux comment en sortir et a pu me montrer la direction. Mais c’est moi qui ai traversé ma route, à ma manière et qui ai fait éclore le Philip d’aujourd’hui. 
Un Philip plus fort, moins contrôlable, plus indépendant, mais qui se relie mieux eux autres, apporte de la chaleur et aime la vie. 

Il faut de la chance pour trouver un bon guru, car au-delà des connaissances intellectuelles, pourtant indispensables à cette traversée, il doit en priorité avoir un bon et grand cœur, une bonne écoute et beaucoup de confiance. Le contrôle, la manipulation, le goût de l’argent, nous le laissons au monde de l’entreprise. Mais cette relation prend du temps, elle se construit, il a fallu du temps au petit prince pour apprivoiser le renard. En faudrait-il moins pour avoir envie de cheminer avec quelqu’un ? 

Et paradoxalement, dans un autre ordre d'idée, la terre n'a jamais connu autant de professeurs de Yoga, Google présente 514 000 références.  Toutes les méthodes sont référencées, kundalini Yoga, accro Yoga, accroc Yoga, viniyoga, ashtanga-yoga, marijuana Yoga, bière Yoga, Yoga en couple, Yoga en groupe, Yoga seul, Yoga pour l'éveil spirituel, Yoga des cakras, Yoga tout nu... Un chat n'y trouverait pas ses petits. Le Yoga a envahit les médias et nos nouveaux professeurs de Yoga s'appellent parfois Danone, Kellogs ou Proximus. Il y a la journée mondiale du Yoga, aujourd'hui, tout le monde pratique le Yoga. Le Yoga est partout, vive le Yoga.

Pourquoi les stéréotypes véhiculés sont-ils si différents dans l'imaginanire collectif ? La réponse est simple, on s'y attend presque, c'est souvent la même : l'ignorance. Pourtant le Yoga a peu à peu conquis nos coeurs et nos corps, la pratique touche de plus en plus de personnes et nous nous reconnectons à nous-même grâce à cet outil puissant.

Mais que connaissons-nous vraiment du Yoga ? Pouvons-nous réellement en prendre l'essence ? Et la transmettre ? La pierre d'achoppement, l'incompréhension et l'ignorance prennent dans cette question leur point de départ. Nous avons pris ce que le côté tangible, accessible à la vision et facilement transmissible : les postures corporelles, un peu de respiration, de méditation et de philosophie. C'est bien ! Mais ne rejetons pas a priori la chance d’aller à l’intérieur de nous pour y trouver notre voix intéreure.

En étant ouvert et critique à la fois, en étant connecté à notre coeur et à notre raison, en écoutant notre corps, il est possible d'établir un lien d'amitiés pour dépasser les exercices simples et rentrer dans des dimension que seul notre coeur peut comprendre. Un peu d'humilité, d'engagement, de pratique régulière permettront d'évoluer sereinement, de lotus en lotus, vers le chemin de lumière. Le Yoga est accessible, ssi l’on accepte d’aller un peu plus que de pratiquer des postures, et de lire des livres, mais cela vaut la peine puisqu'il s'agit de se retrouver soi-même, pleinement, grâce à cette relation. 


Namaste,

Philip RIGO


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Un petit pas pour l'homme